23 mai 2019
Risques et périls de Bernard Deson : nouvelle édition
Une anthologie personnelle de quarante ans de création poétique
Lorsque mon chemin rencontra celui de Bernard Deson en 1981, je remarquai tout de suite que son univers poétique était déjà complètement en place, ce qui n’est pas si courant pour un auteur d’une vingtaine d’années.
Cette cohérence qui indique le degré de maturité d’une œuvre se mesure très simplement, quand le fond et la forme coïncident au point de révéler la vision caractéristique d’un écrivain, d’un poète, sa présence individuelle au monde, indissociable de sa personnalité unique.
Bernard Deson n’en pratiquait pas moins le jeu des identités multiples parfois à son corps défendant lorsque je fis sa connaissance et il renouvelle l’exercice dans la section intitulée Hôtel Continental de son anthologie sous les pseudonymes de Trevor Rutherford, Tomàs Cervantes et Nuno Seabra « pour développer trois univers poétiques différents » explique-t-il en prologue. Prouesse supplémentaire, les textes de cette section furent traduits en français par l’auteur qui les écrivit directement en Anglais, Espagnol et Portugais !
Bien avant ces expériences de 2003, la plume du jeune poète du tout début des années quatre-vingt était déjà ciselée dans un alliage de métaux assez solide pour courir dans les pages de revues importantes de l’époque, Jungleet Vagabondages pour ne citer que les plus opposées mais d’autres aussi, plus modestes ou plus éphémères comme il était de mise en cette période de foisonnement de la presse littéraire alternative entre le milieu des années soixante-dix et le net recul dans la décennie quatre-vingt-dix.
Peu de poètes issus de cette mouvance sortirent indemnes du champ de ruines qui lui succéda et ce furent paradoxalement les plus mal lotis, ceux qui furent occultés parce que trop éloignés des réseaux d’influence et rétifs aux embrigadements, qui donnent de la voix aujourd’hui grâce aux nouveaux outils et circuits de diffusion de la littérature.
Bernard Deson est de ceux-là. Son œuvre a éclos dans des carnets fiévreusement remplis entre deux trains, au hasard des pauses rapides à quelques terrasses de café, dans la solitude des déplacements professionnels et dans les parenthèses de vacances touristiques ou de séjours entre amis.
« Depuis l’enfance il s’est mis en quête d’un Eden poétique dans l’enfer d’une vie prosaïque » note le narrateur à propos de Juan, le personnage de roman égaré dans le dédale des poèmes. En somme, la double vie de l’écrivain qui est plus que jamais la norme, le déterminisme de l’auteur qui n’a pas pu ou pas voulu se résoudre à s’exclure totalement de la société ou céder à la facilité du repli dans sa campagne.
Bernard Deson n’aime pas choisir. Il voudrait tout vivre et sa poésie en témoigne parfois avec fureur, parfois avec nostalgie ou désespoir.
Enraciné dans un terroir viticole dont il connaît les gestes et les secrets, le Bergeracois, il sait aussi se fondre dans le mouvement et l’anonymat des grandes cités, devenir le passager clandestin d’improbables voyages, l’ombre errante des squares et des parcs où il recueille le message mythologique dans le regard pétrifié des statues. Souvent, ces figures de marbre et de bronze s’animent et font irruption dans la modernité urbaine. Les rêves cinématographiques de Jean Cocteau affleurent dans cette écriture exigeante et familière. Le rythme est soutenu, les changements de focale constants.
Bernard Deson ne tourne jamais le dos aux grands thèmes poétiques, l’amour, la femme, le désir, le paysage, le rêve, mais il en insert les fragments dans un kaléidoscope d’où sortent des collages, des cadavres exquis et des images détournées attestant de cette écriture visuelle qui est aussi sa marque.
L’anthologie personnelle intitulée Risques et périls, composée et illustrée par l’auteur, qui vient de paraître sous le label d’Orage-Lagune-Express exprime bien toutes ces tensions mais sa principale caractéristique est la cohérence de l’écriture poétique, même lorsque celle-ci investit la prose ainsi qu’on le constate dans la dernière partie de ce fort recueil, Le Journal de Juan Escobar. Double de l’auteur, « Juan doute qu’un jour il devienne un véritable écrivain, homme de métier, mercenaire appliqué parce qu’il a choisi de prendre son temps, de n’écrire qu’en cas de légitime défense. »
En quarante ans de création poétique, cette légitime défense qu’est parfois l’écriture face à l’aventure dangereuse de la vie s’est exercée dans la publication de recueils et de plaquettes rassemblés dans cette édition en seize sections datées de 1974 à 2014. Toutes affichent des titres annonçant la puissance et la variété du monde intérieur de Bernard Deson : le Pôle immobile, La grande sorcière noire, Anatomie du vol d’un épervier, Un paquet de gitanes vides, Le Logis des voyelles, La mort du Minotaure...
L’anthologie s’ouvre sur Les Textes fétiches, notamment ce juvénile et pourtant si mature Vol plané (herbe des terres arides) qui pose les fondations des monuments à venir. Je n’emploie pas ce terme architectural par hasard car la fluidité de l’écriture est chez Bernard Deson une charpente et non un simple ornement.
Pierre Tesquet, directeur des Cahiers Joseph Delteil, préfacier de cette anthologie, écrit d’ailleurs à propos d’un ensemble daté de 1986 : « Il existe dans tout le livre une tendance à l’élévation que la présence, ici d’un paysage, là d’un écheveau de sensations, ailleurs de la jeunesse et de l’amour, préserve de tomber dans une excessive cérébralité. »
On touche ici à une dimension essentielle de l’univers poétique de Bernard Deson, des lignes et des flèches monumentales bien ancrées dans la terre pour mieux se lancer dans le ciel, jamais de vain formalisme même s’il y a jeu de langage car malgré la narration bien présente, nous sommes résolument dans le poème, dans sa dynamique, dans son jaillissement, aux risques et périls d’un poète dans le monde d’aujourd’hui.
Nota bene : Bernard Deson a inséré dans son anthologie poétique deux textes que nous avions écrits lui et moi en collaboration. Il s’agit de Survenance et de La Dune. Je le remercie de ce témoignage d’une amitié de trente-six ans.
Risques et Périls, anthologie poétique 1974-2014, (illustrée par l’auteur). Éditions Orage-Lagune-Express, 234 pages. 13,50€
Cet ouvrage a obtenu le prix Paul Courget attribué par l'Académie des Lettres et des Arts du Périgord.
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12 avril 2019
Carnet / Du voyage nocturne
Je me suis toujours considéré comme quelqu’un qui n’a aucun sens de l’orientation.
Entre dix-sept et trente ans, les années où j’ai été le plus contraint de me déplacer pour des raisons professionnelles, j’en étais même arrivé à la conclusion que je souffrais de débilité spatiale. En réalité, je me perdais partout où j’allais parce que je n’avais pas envie d’y aller !
J’ai commencé à m’en rendre compte lors de mes séjours à Venise, ville où je me repère assez bien parce que je n’ai aucune urgence à le faire lorsque je m’y promène. Mais s’il est une ville dont l’organisation spatiale s’est très rapidement installée dans mon esprit, c’est bien Lisbonne. Pour oublier la neige, j’y flâne ce soir en rêve éveillé puisque j’ai l’impression de ne plus rêver en dormant. Je dors d’un sommeil léger et fatigant déserté par les grands rêves baroques desquels il m’arrivait d’émerger tout ébloui il y a très longtemps.
Ce soir, j’essaie de me conditionner pour une balade en songe à Lisbonne, pourquoi pas dans le grand parc du Principe Real que j’affectionne tout particulièrement ? J’y trouverai bien un banc pour rêvasser au son d’une Gnossienne de Satie (en hommage au grand Aldo Ciccolini tout récemment disparu) extraite de ma discothèque portative, celle que j’ai dans la tête et qui me rend distrait de tout ce qui me fatigue en ce moment d’être français.
Sur le soir, je pourrais descendre direction Restauradores puis remonter vers mon magasin de cigares, juste derrière la statue de Pessoa attablé au très touristique café A Brasileira.
J’aurais d’ailleurs croisé le poète quelques mètres plus bas au milieu des passants car à Lisbonne, il est partout. La dernière ville littéraire d’Europe, j’ai désormais la chance d’y aller quand je veux. Que mon sommeil lent comme un vieil electrico m’y conduise cette nuit !
Photos © Christian Cottet-Emard,
(Extrait de Prairie Journal (carnets 2006 - 2016)
Pour Oyonnax et sa région : disponible à la librairie Mille feuilles d'Oyonnax et à la Maison de la presse de Nantua (Ain)
Un article de Didier Pobel :
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19 novembre 2017
Hélène Hérault. LA PETITE PRIGENT, nouvelles, éditions Delphine Montalant. 91p, 2017. 14 €
Le début semble annoncer un moment de lecture au coin du feu, une petite friandise salée. On peut lire ainsi ce recueil tout en demi-teinte et en fraîcheur. Cependant, le style limpide d’Hélène Hérault, une ligne claire qui peut rappeler Claire Keegan, emporte l’attention beaucoup plus loin, au large, dans les profondeurs des expériences et des destins les plus humbles.
Pour l’instant, il lui fallait se réconcilier avec l’océan, se laisser embrasser par les flots ; les êtres humains, c’était autre chose.
On devine les sensations à fleur de peau et les sentiments malmenés. La Petite Prigent qui ouvre la première nouvelle La mer avait bon dos par un retour dans la maison de la lande en compagnie intime et pleine d’espoir du plus surprenant des narrateurs est un être à la fois unique et multiple. Toutes les nouvelles rayonnent doucement de sa présence au monde, celui, cher au cœur d’Hélène Hérault, des îles, du Ponant ou de bien plus loin.
Chaque histoire au fil souvent ténu, parfois presque anecdotique, se tresse aux suivantes à l’image des entrelacs de cordages et de filets de pêche sur la photo de couverture. L’écriture économise tout ornement pour laisser sourdre les émotions de personnages taiseux, secrets et tourmentés, la rencontre improbable, l’enfance dont il faut larguer les amarres, le désir d’empathie, la volonté de renaissance, toutes ces nuances de frêle humanité déclinées sur fond d’immensité battue de vents et d’embruns.
Christian Cottet-Emard
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